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Le 14 juillet 2016...

19h

Je suis assise derrière, en voiture avec mon fils, on rentre du jardin, direction la maison. On s’amuse, j’en profite pour lui faire des câlins car il n’aime pas beaucoup cela. J’ai la tête tournée vers la droite, je le regarde, je bascule la tête légèrement en arrière pour la poser sur la banquette. Il fait pareil, on se regarde. Une sensation étrange envahit mon corps, j’ai une boule d’angoisse, comme des frissons, je me dis que là tout de suite tout peut s’arrêter… une voiture peut nous rentrer dedans et la vie peut s’en aller comme ça. Pourquoi cette pensée à ce moment là ? Je ne sais pas. Je décide de lui dire pour la 101ème millions de fois que je l’aime en me disant que si c’est la derrière chose qui doit entendre ça sera ces mots « Je t’aime mon ange » il répond, exaspéré que je lui dise je t’aime plusieurs fois par jour… « Je t’aime maman ». On continue à rouler… la vie continue, apparemment ce n’était pas encore notre heure. On rentre, la routine quotidienne reprend son cours… la douche, la cuisine, etc. Je suis exaspérée, énervée comme souvent, pourtant nous avions passé une bonne journée… films, super restau pour le lunch, 2 supers expos. Si j’échantillonne cette journée sur une échelle de 1 à 7 pour évaluer mon bonheur (1 étant triste, 7 étant très heureux) je suis capable de passer de 7 à 1 ou inversement en l’espace de quelques secondes. Sachant que pendant la journée j’avais culminé à 7 et ce soir là j’étais à 1 voire même 0 ! En plus, je ne trouvais plus mon portable donc bien sûr j’étais à 0 de bonheur mais par contre à 7 de colère. Bien entendu S. et L. furent mes souffre-douleur. La soirée se passe. Je mange seule sur la terrasse = bonheur à 6 car belle assiette et verre de vin. Je me sens mieux. L. est encore fatigué, pas bien = bonheur 0, colère 6. Pas de feux d’artifice (ça tombe bien je n’aime pas trop cela). Pas de concert sur la place Masséna. Bon L. va se coucher, je reste avec mon fils qui est content de ne pas se coucher tôt. Je décide de « faire » mes photos de la journée, mon fils à côté de moi, un petit café, une clope, bonheur = 7. Le feu d’artifice commence, mon fils est content on va sur la terrasse, je le mets sur une chaise pour qu’il voit mieux. Cela me rappelle 2 ans plus tôt quand je vivais seule à Cimiez et qu’on regardait le feu d’artifice du 14 juillet tous les deux sur mon balcon. Bonheur = 3x7. « Maman, maman s’il-te-plait on va voir le feu d’artifice ? – Non, chéri papa dort. – Allez maman, on y va s’il-te-plait… » J’hésite… « Non mon chéri on ne trouvera jamais de place, le temps qu’on arrive ça sera terminé. » Déçu, j’en profite pour lui faire encore quelques câlins volés… on rentre, lui retourne à son ipad, moi à mes photos.

22h30

« Allez chéri, on va se coucher »

22h58

Toujours sur facebook, le post d’une copine anglaise qui habite dans le Vieux-Nice « Home safe. Hope everyone else is ok. If everyone stuck you’re welcome at ours. Armed police and soldiers in place Saint-François as we ran through. Stay safe friends. X »

Je suis interloquée. Je ne comprends pas, on est à Nice, pas à Jérusalem. De quoi parle-t-elle ? Je lui demande « What happened? » et là en un post l’horreur commença… bonheur = -3x7. Des heures de vidéos, d’images insoutenables, des messages, des appels pour se rassurer que tout va bien, que tout le monde est sain et sauf. L. dort toujours, dois-je le réveiller ou vivre cela seule devant mon écran d’ordinateur ? Il sera réveillé par un coup de fil une heure plus tard d’un ami à lui. Il ne comprend pas, un attentat ? Mais on est à Nice bordel, pas à Jérusalem ! A Nice, ville de province tranquille et remplie de vieux. On a vécu à Paris, NY et Boston et échappé à tous les attentats. Et là à Nice un attentat en bas de chez nous sur la prom’ que je prends tous les jours pour marcher ou courir. A Nice bordel ! Je pleure, je ne sais pas pourquoi d’habitude je ne suis pas aussi sensible. Est-ce parce que c’est dans ma ville ? Je ne suis pas très patriote, je me sens plus américaine que française. Je n’ai jamais mis aucun filtre tricolore ou JE SUIS CHARLIE, JE SUIS PARIS sur ma page facebook. Pour moi cela n’a aucun sens… Mais est-ce que ses actes ont un sens ? Est-ce que cette horreur a un sens ? « gam zou lé tova » « cela aussi est pour le bien » ? oui je crois en D.ieu et malgré tout ce qui peut arriver je ne perdrai pas la foi. Je sais qu’il y a un sens à tout mais là je ne vois pas. Je pleure, je pleure pour tous ces gens morts sur notre symbolique promenade, je pleure de soulagement de ne pas y être allé et que toute ma famille et amis aient « annulé » leur feu d’artifice de cette année. Je pleure car mon fils ne pourra jamais connaître un feu d’artifice du 14 juillet sans avoir peur. Je pleure d’avoir fait naitre un enfant dans un monde comme celui-ci. Je pleure car la vie ne tient à rien, à un endormissement sur un canapé, un concert lyrique, un coup de fatigue, la météo, une non-envie… la vie ne tient à rien. Je pleure car ce n’était pas notre heure, ni celle de ma famille ou de mes amis. Je pleure car ma ville ne sera plus jamais comme avant. Je pleure car chaque fois que je passerai sur la prom’, il y aura toujours les images de ces corps morts sur la route. Je pleure car je suis obligée de vivre ce genre d’évènements pour aimer encore plus la vie, pour me rendre compte à quel point j’aime la vie et me rapprocher de l’essentiel… moi qui m’en éloigne si souvent. Bonheur = 0.

Photo : Valérie Court

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